Le cinéma passé Jean-Luc Godard, semaine 4 : pourquoi faut-il interdire les biopics et Olivier Dahan ?

Le cinéma passé Jean-Luc Godard, semaine 4 : pourquoi faut-il interdire les biopics et Olivier Dahan ?

Cela fait à présent quatre semaines que Jean-Luc Godard est mort, le grand embouteillage hivernal des sorties semble s’approcher à grand pas, le festival Lumière bat son plein à Lyon (le parisien éhonté quoique parvenu que je suis ne le couvre donc pas, trop occupé à de basses activités universitaires), et les amateurs de scandale n’ont plus grand-chose à se mettre sous la dent dans le milieu du 7e art, l’opinion publique étant concentrée sur d’autres phénomènes au demeurant très cinématographiques (au moins potentiellement, j’invite les amateurs de grève à découvrir En Guerre, réalisé par Stéphane Brizé en 2018). Pour autant, une fois n’est pas coutume, j’aurais aimé avoir une polémique à commenter, pour un des films (mais pas que) de ma sélection de la semaine. J’aborderais en effet Simone, le voyage du siècle, commis par Olivier Dahan, Le Petit Nicolas : Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, réalisé par Benjamin Massoubre et Amandine Fredon, sous le patronage d’Anne Goscinny, L’Innocent, de et avec Louis Garrel, et j’aimerais également évoquer la saison 2 de Montre jamais ça à personne, série documentaire au sujet d’Orelsan réalisée par son frère Clément Cotentin.

Mais commençons par polémiquer, au sujet de Simone, le voyage du siècle, biopic sur Simone Veil qu’on appellera Simone, par commodité, fabriqué (je n’ose dire réalisé) par Olivier Dahan, déjà coupable d’images animées comme Les Rivières Pourpres 2 ou encore La Môme (autre biopic, décidément). Le lecteur attentif aura constaté de ma part un certain sarcasme à l’égard de ce projet, voire du mépris. Entendons nous bien. Ce film vise clairement les scolaires, il a presque une valeur illustrative d’un cours d’histoire de 3e, présentant de manière démonstrative la figure importante qu’a été Simone Veil. Mais je discute ici de cinéma, ce film est projeté dans des salles de cinéma, et Jean-Luc Godard (qui disparaît lentement de cette chronique, à mon grand dam) disait que le cinéma vise à filmer l’invisible, par opposition au téléfilm qui ne pourrait que recracher des images issues du visible. Et disons le d’emblée, Simone est un téléfilm caractérisé. La mise en scène est d’une étonnante pauvreté, abusant d’effets usés jusqu’à la corde, le film ne se tenant que par la force d’une voix off tristement explicative et d’un montage ridiculement trop rapide. Le scénario masque ses lacunes par une narration non linéaire qui sacrifie la compréhension au rythme, et les comédiens font de leur mieux pour tenir ce qu’ils ont à défendre, c’est à dire pas grand-chose. Mais l’échec du film va plus loin qu’une forme ratée. Simone est un film infect sur le fond, passant 7 minutes montre en main sur le sujet de l’avortement mais s’attardant pendant toute sa durée sur le rapport à la maternité. D’une manière générale, la féminité de Simone Veil y est toujours réactionnaire et moraliste, puisqu’elle n’est jamais montrée qu’hystérique, pleurnicharde ou dans le doute. Mais le pire est sans doute le misérabilisme emprunté par la femme, posant Simone Veil en ardent bouclier des opprimés, que ce soit les drogués, les prisonniers ou les malades du Sida, s’attardant avec une infinie lourdeur sur la Shoah (d’une manière particulièrement odieuse, les corps ayant été enlaidis numériquement), mais opposant au désir de vérité exprimé par son personnage un mensonge permanent. On ne voit jamais la matière du propos, le film l’escamotant au profit d’une propagande libérale et européiste, faisant dire à Simone Veil que l’Europe c’est la paix, sans jamais abandonner sa posture morale, mais en faisant l’apologie de l’état d’Israël. Simone c’est bête, c’est inconsistant, c’est irrespectueux pour un certain nombre de personnes, et c’est à fuir absolument.

En plus, si on veut voir un joli portrait, ou juste une sortie familiale, on gagnerait plutôt à aller voir Le Petit Nicolas : Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?, nouvelle adaptation autant que récit de la création du Petit Nicolas par Sempé et Goscinny. Un film qui tranche radicalement avec les adaptations précédentes, troquant la comédie potache pour un récit sensible, tout en finesse, magnifiquement animé, et systématiquement juste. Dans le portrait de l’enfance, bien sûr, le film étant fidèle à l’oeuvre originale lorsqu’il l’adapte, mais également dans le rapport qu’ont ses auteurs au Petit Nicolas, eux-mêmes ayant eu des enfances moins heureuses ou classiques que celle qu’ils dépeignent, ou même dans l’amitié entre Goscinny et Sempé, présentée frontalement et pourtant toujours pudique. Reste un film véritablement tout publics, puisque drôle et accessible pour les plus jeunes, tout en présentant une réflexion sur la création, atteignant un sommet dans les derniers instants, lors d’une discussion bouleversante entre Sempé et Nicolas.

Au sujet de la création, j’aimerais également aborder non pas un film mais une série, puisque la saison 2 de Montre jamais ça à personne, documentaire sur Orelsan donc, est sortie sur Amazon Prime. Et si cette saison est en deçà de la précédente, ce qui est probablement lié à la période de temps plus resserrée sur laquelle elle se concentre, autant qu’à la qualité de la musique produite (j’ai à titre personnel trouvé l’album Civilisation largement en dessous des projets précédents du rappeur normand), elle n’en est pas moins intéressante, qu’il s’agisse de la part plus importante laissée à la création de l’album, on voit naître les morceaux de manière plus précise, et les questionnements sont plus poussés, que ce soit sur la légitimité ou le syndrome de la page blanche. Et dans tous les cas, la science du montage toujours maîtrisée rend l’ensemble tout à fait agréable à regarder, bouclant la boucle d’un tournage commencé il y a presque 20 ans.

Concluant cette parenthèse sérielle, j’aimerais aborder ce qui est à mon avis le meilleur film de la sélection, à savoir L’Innocent, de Louis Garrel, polar français très resserré sur un ex-taulard repenti mais pas tant que ça, une maman passablement givrée, un fils veuf et névrosé ou encore sa meilleure amie fantasque enchaînant les dates Tinder infructueux. Tout ce petit monde là va se retrouver dans une affaire de braquage au ton polymorphe tantôt comique, tantôt tragique et systématiquement touchant, bien aidé par une bande-son éclectique, des comédiens aussi talentueux que bien dirigés (Noémie Merlant et Roschdy Zem en tête), et une écriture d’une précision redoutable, culminant au cours d’une mémorable scène de restaurant, où la discussion factice d’un couple tout aussi factice, observée par un spectateur incrédule en arrière plan, va se muer sans même qu’on se rende compte en une discussion bien réelle, menée par un couple à la facticité de plus en plus incertaine, culminant quelques scènes plus tard dans une scène d’aquarium renversante, s’achevant dans une fin plus douce qu’amère, pour un film lui aussi plus doux qu’amer, particulièrement drôle (on pense notamment à une scène de répétition, où Louis Garrel n’arrive pas à faire le comédien, ce qui ne manque pas de faire sourire quand on sait son talent, voyez Les Chansons d’Amour, ou même quand on ne le sait pas), réussissant tout ce qu’il touche, et devenant, au final, plus grand qu’il n’en a l’air.

En guise de conclusion, j’invite mon imprudent lecteur qui aurait planifié de flatter sa bonne conscience en allant voir Simone à se rabattre sur le reste de ma sélection, notamment L’Innocent. Et dépêchez vous d’y aller, le planning des sorties est chargé ces temps-ci. La semaine prochaine, on parlera d’un âne. À très vite !

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