Cela fait à présent trois semaines que Jean-Luc Godard est mort, nous nous enfonçons dans l’automne et dans l’incertitude de la qualité du chauffage pour l’hiver. Au cinéma, Novembre fait le carton prévu, tandis que les croque-morts du cinéma français annoncent sa mort avec une joie non dissimulée pour des motifs aussi variés et parfois fantaisistes que le prix des places (vrai sujet), le wokisme (faux sujet), ou encore le vaccin (?). Si on se s’attardera pas dessus longuement, on soulèvera la polémique déclenchée par Louis Garrel qui, en plein promotion de son long-métrage L’Innocent, a comparé les plate-formes de streaming à des «cuisines Mobalpa» par opposition aux salles qui seraient des restaurants gastronomiques. Et tandis que je laisse mon lecteur méditer cette métaphore alimentaire, je rentre dans mon petit tour d’horizon des visionnages de la semaine.
En guise d’introduction, cette petite chronique étant placée (du moins je l’espère), sous le patronage de saint Jean-Luc Godard, j’ai poursuivi ma petite visite des rétrospectives parisiennes lui étant dédiées, en découvrant Le Mépris, avec Michel Piccoli et Brigitte Bardot, qui est, je pense, de tout ce que j’ai vu de JLG jusqu’à présent, son film que je préfère. Parce que le Mépris, c’est réussi en tous points, que ce soit la musique, cultissime de George Delerue, l’ambiance pesante du film, dont le discours sur les rapports homme-femme ne serait pas renié par un certain Gone Girl, ou encore le jeu merveilleux de Bardot et Piccoli. Il est par ailleurs assez amusant de souligner que le film, extrêmement critique à l’égard de l’ingérence des producteurs américains, ici sur le tournage d’un film de Fritz Lang (dont Godard lui-même incarne l’assistant, le symbole est évident), s’est lui-même vu attaqué par lesdits producteurs, qui, déçus de l’absence de scènes de nu de Bardot (dont le cachet constituait la moitié du budget), ont imposé à Godard d’en ajouter : le résultat est un jeu sur les couleurs primaires dissimulant partiellement cette nudité. Mais ce qu’on retient du Mépris, surtout, c’est cet aspect dramatique, voire tragique, d’un homme condamné à perdre sa femme non parce qu’il est maudit mais parce qu’il est médiocre et qu’il la considère comme acquise. Mais une fois qu’elle est partie, ne restent que de sublimes maisons vides.
Des demeures magnifiques, justement, il y en a dans l’Origine du Mal, sorti le 5 octobre dernier réalisé par Sébastien Marnier, se déroulant non pas en Italie mais dans le Sud de la France, à Porquerolles, pour un thriller vénéneux, vendu (à raison) comme d’inspiration chabrolienne. On y voit l’histoire de Stéphane, femme d’âge moyen désargentée retrouvant son père, ancien maire de Hyères et entrepreneur particulièrement riche, à la santé déclinante, en pleine guerre froide avec sa femme et sa fille pour la direction de l’affaire familiale. Résulte un film fort cruel, où tous les personnages sont des ordures totales, que cela soit montré à l’écran ou non, entre le père, haï pour des raisons inconnues par toute sa famille, qu’on devine pourtant coupable d’exactions indéfinies, la mère fantasque et dispendieuse, et enfin, nœud du film, la fille, magistralement interprétée par Doria Tillier, en femme d’affaires girlboss aux crocs acérées, ou encore le personnage de Laure Calamy, aux intentions troubles. Tout ce petit monde là joue un Game of Thrones dans une époque contemporaine, servi par une mise en scène étouffante et un scénario retors. Et si l’on pourra regretter que le film ne se lâche pas entièrement dans son dernier acte, l’annonce d’une suite par son réalisateur laisse à penser qu’on en a pas fini avec ces personnages monstrueux.
Autre thriller de monstres découvert cette semaine, daté de 2003, Memories of Murder, film policier coréen, librement adapté d’un fait divers réellement survenu dans les années 80, traitant de la traque d’un tueur en série libidineux assassinant des femmes les soirs de pluie. Réalisé par Bong Joon-Ho (multirécompensé en 2019 pour Parasite), le film déploie forcément un volet social, puisque l’enquête policière est émaillée d’une friction entre les flics ruraux et urbains, les premiers ayant tendance à fabriquer des coupables en tabassant copieusement leurs suspects, là où les seconds s’inspirent des méthodes américaines sans pour en autant en avoir les moyens techniques et/ou technologiques. Que ce soit par sa mise en scène, sa photo ou son écriture, Memories of Murder peut aisément être qualifié de l’encombrant adjectif «chef d’œuvre», tant il est une réussite à tous les niveaux, brillant par ses ruptures de ton (le film est souvent drôle, voire très drôle), ses explosions de tension soudaine (marquées par l’usage de la musique notamment), ou encore par la noirceur qu’il mêle à l’ensemble (on pense aux scènes d’autopsie ainsi qu’à celle, cultissime, du tunnel), tout cela pour aboutir à un constat amer, d’abord sur la Corée mais finalement sur toute l’espèce humaine, puisque le film vise à souligner la banalité du mal, la seule certitude au sujet du tueur étant finalement qu’il a un visage ordinaire…
Avant de parler du gros morceau de la semaine, il me paraissait amusant de constater qu’à deux exceptions prêt, je n’ai vu que des films policiers cette semaine, entre Memories of Murder que je viens d’évoquer, Novembre, mais également Hana-Bi, film le plus adulé de Takeshi Kitano sur un ancien policier commençant à travailler pour la mafia dans l’objectif de payer des vacances à sa femme mourante, un film magnifique, là aussi tout en rupture de ton, alternant poésie et scènes de violence explicite. J’ai également revu Blade Runner, un de mes films préférés, où Harrison Ford campe un Blade Runner, policier du futur devant retirer (=exécuter) des androïdes défectueux. Tout y est sublime, et la fin est toujours un crève-cœur.
Mais donc, parlons de l’éléphant dans la pièce. Parlons de Novembre, nouveau film de Cédric Jimenez, un an après le très discuté Bac Nord, là encore un film apolitique raconté intégralement du point de vue de la police, à un personnage prêt. Si le film évite une bonne partie des écueils de son sujet, on sent que Jimenez craint tellement une nouvelle polémique qu’il livre finalement un film qui manque de corps, dont les personnages n’ont aucune existence non fonctionnelle, à l’exception, encore une fois, de la témoin jouée par Lyna Khoudri, qui dispose clairement de la meilleure partition du film. Et cela se ressent dans le jeu, parce que même si Jérémie Renier s’en tire avec les honneurs, Dujardin joue comme dans OSS117 mais au premier degré, et Sandrine Kiberlain sonne systématiquement faux (contrairement au tout récent Chronique d’une liaison passagère où elle était au contraire d’une justesse renversante). Et même si les scènes d’action, le rythme de manière générale sont tout à fait honorables, reste que Novembre est un film qui passe comme un paquet de chips : ça se consomme sans déplaisir et ça s’oublie très vite.
C’est tout pour cette semaine somme toute fournie, la prochaine sera, je le crains, plus ténue, nous parlerons notamment de l’Innocent, réalisé par Louis Garrel. Allez voir l’Origine du Mal, et à très vite !