Le cinéma passé Jean-Luc Godard #Semaine1

Le cinéma passé Jean-Luc Godard #Semaine1

L’art et la manière, se défaire du formalisme (pourquoi Jean-Luc Godard explose Romain Gavras)

Au fil du temps, je vois énormément de films. Au moins 3 ou 4 par semaine, et je suis assez frustré, dans la mesure où je ne peux pas toujours en parler. Et puis, il y a quelques jours, Jean-Luc Godard est mort. Alors j’ai eu une idée. Une chronique hebdomadaire, presque un journal intime, sur la construction d’une cinéphilie passé Godard, un pot-pourri mêlant films d’hier et d’aujourd’hui, actualités, etc.

Alors commençons. Godard a dit et répété que le cinéma est mort. Aujourd’hui, Godard est mort, et pourtant le cinéma, son cinéma lui a survécu. Connaissant finalement assez peu le cinéaste suisse (je n’avais vu qu’A bout de souffle, qui ne m’avait qu’à moitié convaincu, tant il était daté dans ses représentations, même si déjà j’y percevais la folie et le sens de l’aphorisme godardiens. J’avais également vu un de ses courts-métrages, Je vous salue Sarajevo, deux minutes bouleversantes de collage portées par la voix au timbre si particulier de JLG, à voir absolument), je me suis jeté sur les rétrospectives, en commençant par Vivre sa Vie, datant de sa période Nouvelle Vague, portant sur Nana, une jeune femme sombrant dans la précarité. Et là, contrairement aux poncifs répandus sur la Nouvelle Vague, qui serait quelque chose d’ennuyeux et trop intellectualisant, je tombe sur un film bardé d’idées, toujours dans la création formelle, que ce soit cette scène de prostitution clippée sur la voix d’un homme récitant la législation sur le sujet, ces dissertations sur la littérature, ou encore cette scène de cinéma muette où Anna Karina pleure silencieusement devant un film de Dreyer. Oui, Vivre sa vie, c’est beau, c’est un sacré portrait de femme.

Et justement, un portrait de femme à Paris, il y en a un autre sorti cette semaine, avec Les Enfants des Autres, de Rebecca Zlotowski, découvert en avant-première aux Halles. J’y allais un peu en traînant des pieds, c’était surtout pour entrevoir Virginie Efira et Roschdy Zem, et pourtant, dès la présentation du film, les larmes de la réalisatrice m’ont fait douter. Et effectivement, derrière son côté drame bourgeois, Les Enfants des Autres vient brasser avec une grande finesse le thème de la parentalité, sans tomber dans des poncifs lourdauds et larmoyants. En résulte un long-métrage très beau, très doux-amer (un peu à la manière de Chronique d’une liaison passagère, autre très beau film d’amour sorti la semaine précédente), très bien écrit et joué (le trio Zem, Efira, et la petite fille fonctionne particulièrement bien), qui vaut le détour. Je m’y suis reconnu, je pense que d’autres s’y verront, allons-y.

D’autant que c’est bien là la sortie la plus intéressante de la semaine. Il y a bien Don’t Worry Darling, réalisé par Olivia Wilde, film de science-fiction féministe qui, s’il m’a réjoui en parlant de patriarcat et de société du spectacle, n’apporte finalement pas grand-chose au débat, brassant des poncifs vus et revus, avec une photo et une mise en scène vues et revues. On gardera l’idée de départ, le jeu d’acteur de Florence Pugh et Harry Styles, et peut-être deux ou trois idées visuelles. Pour le reste, ça se regarde et ça s’oublie.

Même constat pour Athéna, réalisé par Romain Gavras, dernière grosse sortie Netflix, marketté comme un film révolutionnaire, sujet à polémique dès son annonce, et qui à l’arrivée n’est qu’un grand clip de rap géant, divertissant et parfois très bien mis en scène, mais dont les plan-séquences sont bien trop démonstratifs, dans un genre de Bac Nord vaguement de gauche. Cette faiblesse a deux causes : tout d’abord, le désir d’en faire une tragédie au sens classique, qui plombe complètement la deuxième moitié du film, tant Gavras semble n’avoir rien compris à la mécanique tragique, son questionnement moral étant désamorcé par le refus du film de prendre parti, attaquant «l’extrême droite», mais ici dénuée de toute réalité, de toute matérialité, devenue une chimère, une figure du mal impalpable. Reste un film qui accomplit les fantasmes de ladite extrême droite, entérinant les gens des quartiers comme des révolutionnaires en puissance sans pour autant faire la critique de la police. Un sacré coup d’épée dans l’eau, qui n’est pas irregardable grâce à la maestria visuelle qu’il déploie. Pour autant, idéologiquement, c’est inutile, voire dangereux, et c’est bien regrettable lorsqu’on sait que Ladj Ly, réalisateur du brillant Les Misérables, est à l’écriture.

Enfin, j’ai fini la semaine avec un autre film de Jean-Luc Godard, Morceaux choisis des Histoire(s) du cinéma, compilation en 1h20 des 5h des Histoire(s) du cinéma, série documentaire de JLG visant à raconter, comme son nom l’indique, l’histoire du cinéma. Mais, et c’est là le génie du film, tout cela n’est qu’un prétexte pour créer du cinéma, et l’on ressent plutôt que l’on apprend l’histoire du cinéma. Et c’est bien là le remède à toutes les polémiques absurdes dont nous abreuve l’industrie à longueur de temps, que ce soit les ragots stériles de festival pour Don’t Worry Darling, les questionnements sur l’orientation politique d’Athéna, les délires racistes autour de La Petite Sirène, un film qui sera de toute façon d’une médiocrité affligeante, au vu des images déjà sorties et du niveau global des productions Disney ces dernières années. Oui, revenir au cinéma de Godard, c’est revenir à la forme, c’est revenir à l’art. Car si Jean-Luc Godard a dit «Le cinéma est mort», ce dernier lui survit, emportant sur son passage les aléas du temps, et lui rendant quelque part une force politique qui s’est émoussée au fil du temps. Après tout, les Histoire(s) du cinéma contiennent déjà trois questions qui constituent une réponse à ce questionnement et une conclusion à cette chronique :

Qu’est-ce que le cinéma ? Rien.

Que veut-il ? Tout.

Que peut-il ? Quelque chose.

Cyriaque Onfray

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