Élevage en France : l’horreur est dans le pré

Élevage en France : l’horreur est dans le pré

L’élevage, c’est 40% de la production agricole mondiale1. Bovins, ovins, caprins, mais aussi porcs et volailles sont élevés pour leur viande ou leur lait, pour nourrir les 7,7 milliards d’humains. Nous connaissons tous les méfaits de l’élevage intensif pour notre corps et pour l’environnement. D’un côté, les grands méchants avec leurs fermes gigantesques et leurs animaux privés de lumière naturelle. De l’autre, les petits agriculteurs bio et leurs vaches qui gambadent dans les grandes plaines vallonnées. Cette vision un peu binaire de l’élevage, nous l’avons tous en tête. Mais concrètement, quelle est la réalité de l’élevage en France ?

Intéressons-nous d’abord à la production de lait. En France, c’est 3,6 millions de vaches laitières qui fournissent 23,8 milliards de litres de lait, à raison de 23 kg par jour et par vache, 310 jours par an2. Cette production n’est pas constante. Pour produire du lait, la vache doit avoir un petit. À sa naissance, la quantité de lait produite augmente fortement. Cette phase ascendante dure en moyenne 35 jours. Le veau est séparé de sa mère immédiatement après la naissance, afin qu’il ne prélève pas son lait. Après atteinte du pic de lactation, la phase descendante débute et s’achèvera au bout de 275 jours. Après cette date, la quantité de lait produite n’est plus rentable. Il faut relancer une naissance. Il est donc dans l’intérêt de l’éleveur.euse que ces cycles s’enchaînent, afin d’éviter les périodes sans production. Pour cela, les vaches sont mises à la reproduction. Elles sont réinséminées 3 mois après leur vêlage, pour mettre bas 9 mois plus tard et lancer une nouvelle lactation. Seule une période de 60 jours sans traite est recommandée entre la fin de la lactation et le vêlage, pour permettre à la vache de reprendre du poids et de l’énergie avant un nouveau cycle. On appelle cela le tarissement. 

La traite a lieu 2 fois par jour. Cette hyperproductivité peut entraîner des problèmes de santé, comme des mammites (infections de la mamelle), ou encore des métrites (infection de l’utérus). Au cours de sa vie, une vache réalisera en moyenne 3 cycles de lactation, à l’issue desquels elle ne produira plus suffisamment de lait pour être rentable. Elle sera abattue vers l’âge de 5 ans, alors que son espérance de vie est de 20 ans3

La reproduction est l’une des clés de la rentabilité d’une vache et de sa productivité. Sans veau, pas de lait. Pour en assurer la réussite, près de 80% des éleveurs.euses ont recours à l’insémination artificielle, même en bio. Elle permet de contrôler la génétique des descendants, et d’éviter le coût de l’entretien d’un taureau sur l’exploitation. Mais concrètement, comment ça se passe ? Déjà, il faut repérer les chaleurs de la vache, c’est-à-dire sa période de fertilité, qui ne dure que quelques heures. Des signes extérieurs permettent sa détection, mais pour plus de fiabilité, certains éleveurs.euses investissent dans des colliers connectés. Ils permettent de compter les pas et de renseigner l’éleveur.se sur une potentielle hausse de l’activité de l’animal, synonyme de chaleurs. Une fois détectées, il faut faire appel à un.e inséminateur.trice. Ce.tte dernier.ère va introduire des paillettes, c’est-à-dire des micro-doses de sperme, à l’aide d’un cathéter, dans l’utérus de la vache. Le sperme a été préalablement sélectionné par l’éleveur, dans un catalogue de taureaux reproducteurs, en fonction de ses caractéristiques. Mais nous y reviendrons. Ainsi, l’inséminateur commence par masser l’appareil reproducteur de la vache, puis introduit le cathéter par voie vaginale. L’opération, bien qu’elle ne dure que quelques minutes, est extrêmement invasive et peut provoquer un inconfort et un grand stress chez l’animal. Quelques jours plus tard, l’inséminateur.trice procèdera à une fouille. En d’autres termes, il va contrôler par voie rectale la fécondation ou non de l’ovule. Si la fécondation n’a pas eu lieu, il faut attendre les prochaines chaleurs et recommencer l’insémination. Une vache insuffisamment fertile, même en bonne santé, sera réformée, et donc abattue pour être consommée. 

Ainsi, l’éleveur.euse contrôle la génétique des descendants de ses vaches. En effet, iel a des attentes précises en fonction des caractéristiques recherchées. Par exemple, l’aptitude au vêlage (diminution des infections post-partum), la distance entre les trayons (facilite la traite), la quantité de lait produite mais aussi sa qualité (le taux de matière grasse et protéique majore ou minore le prix de vente du lait) ou encore les aptitudes bouchères (après 3 lactations, les vaches sont abattues et leur viande consommée). Tous ces caractères sont liés à la génétique des animaux. Ainsi, des taureaux dont les descendants ont eu de bonnes caractéristiques sont sélectionnés, et leur sperme vendu pour insémination. Une technique récente permet aussi le sexage du sperme, afin de ne sélectionner que les spermatozoïdes porteur du chromosome X, assurant la naissance de femelles. Les veaux mâles n’ont qu’une faible valeur économique. Ainsi, un taureau peut avoir jusqu’à 100 000 filles. Finalement, cette maîtrise de la reproduction a entraîné une augmentation annuelle de 162 kg de lait par vache entre 2003 et 2015. Il est légitime de questionner cette manipulation génétique, tant elle a transformé l’animal. La quête du profit généré par ces vaches n’est pas sans conséquences sur leur santé. Plus fragiles et plus sensibles aux infections, les éleveur.euses ont davantage recours aux médicaments, voire aux antibiotiques. 

D’autres espèces, comme les ovins (c’est-à-dire les moutons et brebis) sont saisonnés, c’est-à-dire que leurs périodes de chaleurs sont dépendantes de la saison, et notamment de la durée du jour. Ce sont des espèces dites à jours courts, c’est-à-dire qu’une diminution de la durée d’ensoleillement (vers le mois d’octobre) entraîne l’apparition des premières chaleurs. Les brebis ne sont donc fertiles que quelques mois par an. Or l’agneau est très consommé à Pâques par exemple, ce qui nécessite une fécondation 5 mois plus tôt, en décembre, période à laquelle les brebis ne sont pas fertiles, car le passage des jours longs à jours courts est révolu. Il est alors nécessaire de simuler ce changement, de manière artificielle. Il existe plusieurs techniques. L’éleveur peut enfermer ses animaux dans des bâtiments éclairés artificiellement, en modulant les durées d’éclairage pour mimer ces variations. Sinon, l’éleveur doit poser des implants de mélatonine sous la peau du pavillon de l’oreille des animaux. Cette hormone aura pour but physiologique de mimer chimiquement une période de jours courts, déclenchant la période de reproduction. Par ailleurs, pour obtenir un maximum d’agneaux à une même période, l’éleveur.euse va synchroniser les chaleurs des brebis. Pour cela, iels insèrent une éponge imprégnée de progestagène de synthèse (hormone sexuelle inhibant l’ovulation) dans le vagin des brebis. Puis iel va les retirer au même moment chez tous les animaux, puis va injecter de l’eCG, hormone sexuelle permettant d’augmenter le taux d’ovulation. Bref, ces méthodes, bien qu’efficaces, posent la question d’une artificialisation de l’élevage et d’un manquement au bien-être animal. 

Enfin, chez les porcs, la gestion de la reproduction est tout aussi artificielle. Pour inséminer les truies, on les place dans des cages si étroites qu’elles n’ont pas la possibilité de se tourner ou de s’allonger. Elles y restent des heures entières, l’éleveur.euse attendant le moment propice pour procéder à l’insémination. En élevage conventionnel (non bio), près de 4 mois plus tard, les truies mettent bas et sont placées avec leurs porcelets dans des parcs de quelques mètres carrés. La truie est contenue dans une cage, permettant aux porcelets de la téter sans être écrasés. Toute leur courte vie, ces porcelets seront entassés dans des bâtiments en béton, d’où s’échappe une odeur étouffante. Ces pratiques entraînent un stress intense, qui se manifeste par des comportements cannibales (notamment la caudophagie, c’est-à-dire la morsure des queues) ou répétés et obsessionnels (léchage des barreaux, allers-retours incessants) qui leur permettent d’évacuer leur angoisse. Plutôt que de changer leurs conditions de vie, les éleveurs.euses ont recours presque systématiquement à des mutilations. Par exemple la caudectomie (couper, souvent à vif, la queue des porcelets pour éviter la caudophagie) ou le meulage des dents afin d’éviter les lésions des mamelles des truies, mais pouvant causer des abcès. Parfois, de manière dérisoire, leur espace est enrichi de quelques matériaux. La paille, étalée au sol, permet au porc d’exercer la fouille avec son groin, comportement primaire et essentiel à son équilibre. Dans d’autres exploitations, des chaînes métalliques sont installées et permettent aux porcs de jouer. Mais ces installations, si elles permettent effectivement une diminution des troubles comportementaux, ne constituent en rien un espace de bien-être. L’élevage conventionnel ne peut perdurer si l’on prend en considération le bien-être animal et la protection environnementale.

Revenons à l’élevage bovin. Une part non négligeable du cheptel est composée de veaux destinés à la consommation. On distingue les veaux de boucherie, issus de vaches laitières ou allaitantes (vaches à viande), abattus à 4 mois, des jeunes bovins de boucherie abattus à 16 mois. Ce sont souvent des mâles, les femelles étant conservées pour la production de lait ou le renouvellement du troupeau. Les veaux de boucherie issus de vaches laitières sont produits dans un système hors-sol. Achetés à 2 ou 3 semaines, ils sont engraissés avec des substituts de lait de vache. Ils sont logés dans des petites logettes individuelles, de moins de 2 mètres carrés, jusqu’à 8 semaines. Les veaux issus de vaches allaitantes sont issus de mode de production plus respectueux de leur bien-être, notamment de type « veau sous la mère ». Sa chaire, nous la connaissons blanche. Mais cette couleur n’est pas naturelle. Comme pour tous les bovins, la chaire du veau est rouge. Cependant, le consommateur ayant été habitué à une absence d’hémoglobine, les veaux sont anémiés. Si la loi fixe sa valeur seuil à 4,5 mmol/L de sang et assure que cela n’entraîne pas d’altération de leur santé, il est très questionable de rendre malade un animal pour une attente esthétique. De plus, cela peut entraîner des comportements anormaux chez le veau. Son organisme cherchant un apport en fer, il est contraint à lécher le fer parasite, ou cherche à consommer de la paille contenant de la terre, riche en fer. 

Finalement, l’élevage en France n’est pas toujours celui que l’on imagine. Les pratiques répandues dans l’immense majorité des cas, ne sont pas connues du grand public. Si l’élevage permet de nourrir le monde, il est primordial de s’interroger sur son éthique et ses conséquences sur le bien-être animal et l’environnement. Une diminution de la consommation d’animaux et de leurs dérivés permettrait une augmentation de la part d’élevages extensifs. Une prise de conscience individuelle est nécessaire pour accomplir un devoir collectif.

1 « L’élevage dans le monde, défis et diversité », La-Viande, [en ligne], consulté le 09/06/2022. URL : https://www.la-viande.fr/environnement-ethique/atlas-elevage-herbivore/elevage-dans-monde-defis-diversite

2 « La filière laitière française en chiffres », Filière laitière, [en ligne], consulté le 10/06/2022. URL : https://www.filiere-laitiere.fr/fr/chiffres-cles/filiere-laitiere-francaise-en-chiffres

3 Nathaniel SCHMID, « La vie des vaches laitières est trop courte », Bio-actualités, [en ligne], consulté le 09/06/2022. URL : https://www.bioactualites.ch/actualites/nouvelle/la-vie-des-vaches-laitieres-est-trop-courte.html

Photo : Domaine du Croc du Merle

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *