« Fusillade au Texas : aux USA plus d’armes à feu en circulation entraînent toujours plus de morts », titre Le Monde. « Fusillade dans une école au Texas : sept chiffres effarants sur les armes », titre Ouest France. Aux Etats-Unis, où la narration de l’acte héroïque par l’usage des armes est de commun usage, les actes de violence font récemment florès : en cause, depuis le début de l’année 2022, on compte davantage de fusillades que de jours écoulés (selon les calculs de The Trace). Retour sur ces présents évènements, dont l’abondance marque un paysage américain en proie au ravivement du débat, en réalité de longue date.
Une exacerbation de la production d’armes à feu depuis 2000
S’il demeure un point pour lequel le débat n’a pas lieu d’être, c’est bien au niveau de la tendance à l’augmentation des armes à feu. D’après les chiffres fournis par AFP, les fabricants américains ont produit plus de 139 millions d’armes à feu destinées au commerce, au cours des vingt dernières années. L’export des armes, que l’on sait traditionnellement dominé par les Etats-Unis (qui s’arrogent 37% des parts du marché de l’export), est également en augmentation, le pays ayant marqué une croissance de cinq points, comparativement à la période 2011-2015. De fait, l’industrie de l’armement a explosé : alors qu’en 2000, on décomptait 2222 entreprises de fabrication en activité, on en dénombre 16 963 en 2020, selon un rapport du département de la Justice, au Canada. Il s’agit notamment d’observer une hausse des armes dites « fantômes », qui présentent la particularité d’être achetées en lignes ou produites par une imprimante 3D. Ainsi, contrairement aux armes issues des usines, comprenant un numéro de série, ces dernières ne sont pas considérées comme des armes tout au long du processus de fabrication, et ne nécessitent pas, conséquemment, la possession d’un permis de port d’arme.
Le ravivement d’un débat de longue date
Deuxième amendement, 15 décembre 1791. « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, il ne sera pas porté atteinte au droit du peuple de détenir et de porter des armes. » C’est ainsi que, depuis 1791, le droit de porter une arme n’a jamais été remis en question. S’il demeure important de considérer l’importance historique relative à l’inscription dans la constitution du port d’armes, il convient, d’après les détracteurs, de considérer l’importance de l’écosystème pour lequel cet amendement était, à l’époque, originellement promulgué. Force est de constater qu’en dehors des villes, il n’existait originellement pas ou peu de police pour assurer la protection de individus.
Selon une étude d’UCLA et d’Harvard, chaque fusillade provoque, dans l’année qui suit, une augmentation de 15% des propositions de lois sur le port des armes. Fusillade de Las Vegas, 2017, 59 morts. Fusillade du 12 juin 2016 à Orlando, Floride, 50 morts. Fusillade de l’université Virginia Tech, Virginie, 2007, 33 morts. Tuerie de l’école primaire Sandy Hook, Connecticut, 2012, 28 morts. Ect. La fréquence des évènements donne lieu à un retour continu des débats, alors remis sur la table, çà et là, sur cette question qui divise : Faut-il autoriser le port des armes ? Pour quand et pour qui ? Dans un premier temps, force est de constater l’influence du lobby des armes sur les débats autour de la possession des armes aux Etats-Unis. Oui, l’argent demeure le nerf de la guerre. Défendant le droit des Américains de porter des armes, la National Rife Association – association en tête du lobby pro-armes à Washington – est la partie visible de l’iceberg. N’hésitant pas à dépenser plusieurs millions de dollars par an auprès des membres du Congrès américain pour s’assurer de leur soutien, cette dernière évacue toute possibilité de législation permettant un contrôle plus strict des armes à feu. Selon les détracteurs, le port d’armes devrait se limiter aux miliciens. L’adoption d’un tel amendement nécessite une majorité de trois quarts des assemblées des Etats votant pour l’amendement, d’après un article du Monde. Le Congrès américain, sous domination républicaine, a rejeté toutes les propositions, mêmes légères, dont la visée était de restreindre d’une quelconque façon le droit des citoyens américains de porter une arme à feu. En somme, un débat redondant dont la complexité multidimensionnelle témoigne du clivage de la société américaine. Bref, un débat qui n’est, en d’autres termes, pas près de se terminer.
L’arme à feu, un « objet culturel », un attachement au vécu ?
Outre-Atlantique, cela parait étriqué, dystopique, impensable. Pourtant, à différents moments de l’année, Miami, Winstom, Virginia Beach, deviennent, chacun à leur tour, théâtre de « Guns Shows ». Ces foires aux armes sont en réalité un moyen d’exposer l’arsenal disponible des armes sur le marché. Tradition étasunienne fermement ancrée, il suffit de vagabonder dans les allées de ces évènements pour apercevoir des familles, des amis, des collègues. On essaie les fusils, puis, on va s’entrainer avec ses enfants sur des champs de tir : c’est un espace de sociabilité comme un autre. Personne ne pose de questions. Devant votre canapé, un café à la main, vous regardez un film. Même à la télé (terrain où l’influence des consommations sont fermement limitées, en France) les armes font florès, même si Hollywood songe à remplacer les armes à feu par des factices sur les tournages, depuis le tir mortel d’Alec Baldwin. En cause, les chiffres le prouvent : ce sont trois fois plus d’armes à feu dans les films pour adolescents, depuis 1985, selon une étude publiée en 2013. Puis, ne soyez pas étonné si votre magazine publicitaire, déposé dans votre boite aux lettres, soigneusement ornée d’un drapeau américain, contient tout un éventail d’armes à feu. En somme, certains iront même à dire que les armes à feu sont aux states ce que la tradition culinaire est à la France. Il s’agit-là de comprendre l’arme comme un objet de culture, structurant de facto la culture américaine, indissociable de l’Ouest du pays, de l’imaginaire collectif, où le cinéma apparait comme un instrument assurant le soft power. D’un point de vue sociologique, ce sont ces mêmes normes, qui, intériorisées par les acteurs, ont pour mission d’assurer la continuité, la fondation du lien social, entretenant le mythe américain.
Estelle Lamotte