Du 21 novembre au 18 décembre 2022 se déroulera la vingt-deuxième édition de la Coupe du monde de football, au Qatar.
La décision d’organiser un événement sportif dans un pays où les températures peuvent atteindre 50°C à l’ombre en été ne garantit pas vraiment les meilleures conditions de jeu pour les athlètes et a donc forcé la FIFA (Fédération internationale de football association) à planifier la compétition en hiver. Cela dit, même en novembre et décembre les température du Golfe obligeront les stades du Qatar à climatiser leur enceinte, causant ainsi un coût écologique plus que critiquable.
Célébrer des victoires sous la pluie et dans le froid en pleine période de travail et d’école n’est pas aussi réjouissant et motivant que de fêter cela sous le soleil de juillet, au début de l’été et des vacances, à la fin des examens. Ainsi, l’organisation au Qatar gâche déjà une partie de la magie de la Coupe du monde.
La FIFA est connue pour son léger manque d’éthique, on se souvient notamment du scandale de 2015 quand quatorze de ses hauts responsables avaient été arrêtés par la police suisse pour suspicion de corruption. Cela avait poussé le Président de la fédération de l’époque, Joseph Blatter, à démissionner. On pourrait ainsi aisément imaginer des transactions financières douteuses ou des échanges de bons procédés réalisés par les hauts fonctionnaires de la pétromonarchie qatarie, pour convaincre ceux des instances footballistiques de choisir leur pays comme organisateur de l’événement. Michel Platini, ex-Président de l’UEFA (Union des associations européennes de football), est soupçonné d’avoir échangé son vote en faveur du Qatar en l’échange d’un haut poste pour son fils.

Photo : Philipp Schmidli/Getty Images (businessinsider.com)
Un nouveau problème se pose cependant aujourd’hui : celui des droits de l’Homme. Est-il moral de confier l’organisation du plus grand événement sportif mondial à un pays tel que le Qatar..? Remarquons qu’organiser la Coupe du monde 2018 chez Vladimir Poutine n’était pas un meilleur choix.
Le Qatar fait partie de la soixantaine de pays qui considèrent légalement l’homosexualité comme un crime : les personnes ayant des relations homosexuelles sont condamnées à 7 ans de prison. Pour les « coupables » de confession musulmane, cela va même jusqu’à la peine mort. Les fans et joueurs faisant partie de la communauté LGBT+ seront-ils bien accueillis ou ne craindront-ils pas, du moins, pour leur sécurité et leur vie? Le footballeur australien Joshua Cavallo, qui a fait son coming-out public en octobre 2021, a par la même occasion fait part de sa peur de se rendre au Qatar si jamais l’Australie se qualifiait et qu’il devait être du voyage.
Le président du comité d’organisation du Mondial 2022, Nasser Al-Khater, lui a répondu dans une interview accordée à la BBC en « l’[invitant] même à venir visiter le pays avant la Coupe du monde ». Concernant l’accueil des supporteurs LGBT+, Nasser Al-Khater avance un argument « culturel » valable selon lui pour les couples hétérosexuels comme homosexuels. Il déclare que « Les démonstrations d’affection en public sont mal vues, et cela vaut pour tous. (…) Le Qatar et les pays environnants sont beaucoup plus pudiques et conservateurs. C’est ce que nous demandons aux fans de respecter. Nous sommes certains qu’ils le feront. Tout comme nous respectons les différentes cultures, nous attendons de celles-ci qu’elles fassent de même avec la nôtre. (…) Ils viendront au Qatar en tant que supporters d’un tournoi de football. Ils peuvent faire ce que tout autre être humain ferait ». Le Qatar s’efforce donc de montrer un visage ouvert et tolérant…
Un autre problème majeur au Qatar concerne les droits des femmes. Comme dans les autres monarchies du Golfe, les femmes qataries sont largement discriminées. Elles disposent de bien moindres droits que les hommes et sont privées de certaines libertés, notamment par un système de tutelle. Les femmes doivent obtenir la permission de leur tuteur masculin pour se marier, pour faire des études à l’étranger à l’aide de bourses du gouvernement, pour travailler dans certains secteurs de la fonction publique, pour signer des contrats et voyager à l’étranger jusqu’à un certain âge et pour recevoir certains soins médicaux dans le domaine reproductif. Le divorce est très difficile à obtenir et ses conséquences sociales et économiques sont désastreuses pour la femme. Après le divorce, il est impossible pour la mère d’être le principal titulaire de l’autorité parentale sur ses enfants, même si elle en a la garde. Comme l’explique Human Rights Watch, une femme « peut être considérée comme « désobéissante » si elle n’obtient pas au préalable de son mari la permission de travailler ou de voyager, ou si elle déserte son foyer, ou refuse d’avoir des rapports sexuels avec lui, sans raison « légitime ». Un homme peut avoir jusqu’à quatre épouses en même temps, sans avoir besoin de la permission d’un tuteur, ni même de sa – ou de ses – première(s) femme(s).
La situation inégalitaire dont les femmes qataries sont victimes est donc véritablement alarmante, même si elle tend – relativement – à s’améliorer.
Mais la question centrale en terme de droits humains bafoués par le gouvernement qatari lorsque l’on évoque le mondial 2022 est celle des travailleurs immigrés, privés de leur liberté, surexploités et parqués dans des camps.
Comme dans les autres petits pays du Golfe, qui se sont développés à une vitesse prodigieuse ces dernières décennies et qui ont fondé en partie leur économie sur le tourisme de luxe, le Qatar doit cette croissance urbaine à des centaines de milliers de travailleurs venus principalement du sous-continent indien (Inde, Pakistan, Sri Lanka, Bangladesh ou Népal) mais aussi d’Afrique subsaharienne. Ces ouvriers sont attirés par la promesse d’un travail et de hauts salaires, comparés à ceux perçus dans leurs pays d’origine. Au Qatar, ils représentent plus de 90% des 2,8 millions d’habitants. Une fois arrivés, leur passeport est confisqué. Ils sont donc bloqués sur place et à la merci totale de leurs employeurs : c’est le système de la kafala. Ce droit – concernant les travailleurs étrangers seulement – peut s’apparenter à un « parrainage » et empêche notamment un employé de quitter son travail sans l’accord de son employeur. Si la législation qatarienne a aboli ce système sur le papier depuis 2017, James Lynch (ex-Amnesty International) déclare cependant que « tout ce que ces mesures ont apporté, c’est de faire disparaître le mot kafala des textes de loi. Le système, lui, est resté en place ». Selon Florante Mitra Cabrito, représentant de la communauté philippine au Qatar, cela place les travailleurs dans des « conditions d’esclavage ».
Ces ouvriers travaillent dans des conditions extrêmes, en plein soleil alors qu’il fait 50°C à l’ombre et dans l’atmosphère étouffante du désert. Ils n’ont en général qu’un jour de repos par semaine, pour des journées de travail allant parfois jusqu’à 14h. Dans les cas extrêmes, certains ouvriers ont travaillé cinq mois sans un seul jour de repos. Ils habitent dans des camps « insalubres et étroits » selon Amnesty, à huit ou dix par chambres, en lointaine périphérie des villes.

Une enquête de The Guardian révélait en 2020 que 6.500 travailleurs indiens, népalais, pakistanais, bengalis et sri lankais seraient morts sur les chantiers des stades de la Coupe du monde entre 2010, année d’attribution de l’organisation de l’événement, et 2020. Le journal anglais s’est appuyé sur les données gouvernementales des différents pays concernant les travailleurs émigrés. De plus, les chiffres du Guardian ne prennent en compte ni les ouvriers philippins ni les kenyans, pourtant nombreux dans l’émirat. Le bilan pourrait ainsi être bien plus lourd. La première annonce officielle du Qatar vis-à-vis d’un décès lié à la construction d’un stade date seulement de 2016 et selon les autorités, seulement 37 ouvriers seraient décédés sur des chantiers.
La question des droits de l’Homme est donc véritablement préoccupante au Qatar et la décision d’organiser sur son sol l’évènement sportif le plus populaire du monde est ainsi critiquable. Certaines fédérations de grandes nations de football telles que l’Allemagne et les Pays-Bas avaient menacé de boycotter la compétition et ont manifesté leur inquiétude lors de matchs. À suivre…

Sources images : dohanews.com, chatsports.com, trtworld.com
Anatole Brunet-Rapeaud
Sources: onefootball.com, leparisien.fr, sudouest.fr, amnesty.org, franceinfo.fr, lemonde.fr, europe1.fr, hrw.org, theguardian.com, lepoint.fr, liberation.fr, wikipedia.com, AFP (DailyMotion)