La Commune de Paris à l’épreuve des mémoires

La Commune de Paris à l’épreuve des mémoires

La semaine dernière se terminait la fin de la période marquant les 150 ans de la Commune de Paris, un évènement majeur dans l’histoire politique du pays mais aussi de l’histoire de France. Pourtant, ces 2 mois et 10 jours semblent être boudés par le roman national qui façonne nos programmes scolaires et notre imaginaire collectif. Mais alors comment se fait-il que « la Commune de Paris » soit un évènement moins éloquent pour les français que la Prise de la Bastille ou encore le baptême de Clovis ? L’idée ici est surtout de montrer à quel point l’Histoire de France est avant tout guidée par des logiques mémorielles, une mémoire sélective, souvent au profit des élites, qui va mettre en avant des évènements historiques, au détriment d’autres.

Brièvement : qu’est-ce que la Commune de Paris ?

Pour revenir rapidement sur les faits, la Commune de Paris est une période insurrectionnelle s’étendant du 18 mars au 28 mai 1871. A cette période, la France vient de perdre la guerre contre les Prussiens. La paix signée entre les deux parties, suite au siège de Paris est vécue comme une humiliation par les parisiens (un Paris qui, à l’époque on le rappelle est à majorité ouvrier). De plus, l’établissement d’un gouvernement à majorité conservatrice en février 1871, avec à sa tête Adolphe Thiers ne va en rien arranger les choses (gouvernement qui déménagera à Versailles, symbole de la monarchie, et nouvelle humiliation pour les parisiens). Mais la goutte d’eau viendra de l’ordre de Thiers de récupérer les canons de la Garde Nationale (armée connue à l’époque pour être davantage proche du peuple que du pouvoir), des canons que les parisiens considèrent comme les leurs. Après de nombreuses tensions dans les jours qui ont suivi, Thiers a définitivement fuit à Versailles et la Garde Nationale s’est retrouvée maîtresse de la ville de Paris. Des élections ont lieu le 26 mars, offrant une large majorité aux députés révolutionnaires. Dans ce contexte, la Commune est officiellement déclarée le 28 mars 1871.

Durant sa période d’activité, la Commune de Paris sera un véritable laboratoire social et politique, particulièrement avant-gardiste. Dans une France encore très conservatrice (on est en 1871 je vous le rappelle) elle mettra en place la liberté de conscience, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’instauration de l’école laïque, obligatoire et gratuite, la laïcisation des hôpitaux, la création de coopératives d’ouvriers, la mise en avant de l’art dans l’enseignement, etc. La Commune de Paris était également plutôt avant-gardiste sur la question de la place des femmes. S’il est exagéré d’affirmer que cette période était féministe, les femmes n’ayant pas le droit de vote, elles occupaient des places importantes notamment à travers leur participation aux clubs politiques ou à la rédaction de journaux. D’ailleurs, l’une des figures, si ce n’est la figure la plus emblématique de la Commune de Paris reste une femme : Louise Michel. On peut aussi noter que certains communards se prononçaient dans des journaux en faveur de l’abolition de la peine de mort. Une chose impensable pour l’époque.

Malheureusement, en mai l’armée versaillaise commence à bombarder Paris, et le 21 mai, elle parvient à entrer dans Paris : c’est le début de la « Semaine Sanglante ». Une terrible semaine de répression des communards. On estime entre 6 000 et 30 000 (le désaccord est profond entre les historiens) le nombre de personnes abattues par l’armée versaillaise. Un massacre applaudit par les élus conservateurs versaillais. La semaine sanglante s’achèvera, de même que la Commune de Paris en elle-même, le 28 mai, par l’exécution de 147 communards au cimetière du Père Lachaise le long de ce qui porte aujourd’hui le nom de « Mur des Fédérés ».  La répression continuera malgré tout avec des condamnations à mort et des déportations dans des bagnes (ce fut notamment le cas de Louise Michel).

Mémoire communarde : une mise sous silence au profit de l’ordre et des puissants

Avec ce résumé succinct de ce qu’était la Commune de Paris, on peut légitimement se demander pourquoi le 150e anniversaire des ces semaines historiques semble avoir été rangé aux oubliettes ? Et bien qu’il pourrait être une bonne excuse, il serait trop facile de porter la responsabilité sur le covid. La vraie raison est simple : elle est politique. Car si à gauche, la célébration de cet anniversaire est incontestable (encore que) tant elle est une référence dans l’histoire politique française, la droite semble, quant à elle tiquer, voire être gênée par cette célébration. C’est notamment le cas de Rudolph Garnier, conseiller de Paris qui a déclaré « Commémorer c’est oui, célébrer c’est non ».

Voir que la question se pose à propos de la célébration de la Commune de Paris en dit beaucoup sur le contexte actuel. Pour des raisons politiques (qui datent de plus d’un siècle), les communards, qui au fond ne demandaient que plus de démocratie, qui souhaitaient une mise en place concrète de notre triptyque « liberté, égalité, fraternité », se retrouvent parfois à être considérés comme une foule haineuse et sanglante. Alors certes, si quelques ecclésiastiques ou militaires versaillais ont perdu la vie, cela n’est en rien comparable au rouleau répressif employé par l’armée versaillaise, désireuse de réaffirmer son autorité conservatrice, face à des ouvriers, victimes des inégalités sociales, qui ne rêvaient que de jours meilleurs.

En réalité, la Commune de Paris est un bon exemple historique de ce qui peut être fait pour en quelque sorte « terminer » 1789 et abolir définitivement les privilèges qui, même s’ils n’existent plus en théories sont bien visibles dans la société. Les pouvoirs qui se sont succédés en France n’ont eu de cesse de chanter les louanges de la Révolution de 1789, celle qui a fondé notre « belle » république et notre « belle » démocratie. Mais l’absence ou du moins la discrétion de la célébration d’évènements comme la Commune de Paris montre à quel point 1789 sert avant tout de point d’orgue du Roman National afin de créer un attachement aveugle des français envers leur patrie et non de célébrer la liberté, l’égalité et la fraternité.

De plus, la folie autour de la célébration de la mort de Napoléon montre à quel point d’une part le Roman National a fait son œuvre et d’autre part à quel point nos présidents seront toujours plus attaché à des figures individuelles qu’à des mouvements populaires. En effet, voir à quel point certaines personnes s’acharnaient à honorer la mémoire de Napoléon de manière hystérique (oui parce que franchement l’hystérie autour de Napoléon vient plus de ceux qui veulent l’honorer comme un dieu que de ceux qui « osent » le considérer comme un dictateur sanguinaire) montre que notre Roman National, bien entretenu par les chefs d’Etats de succédant veut nous montrer une France davantage glorieuse et conquérante plutôt que démocratique et égalitaire. Et d’ailleurs pour répondre aux critiques adressés aux militants de gauche, aux « décoloniaux » voire même à de nombreux historiens à qui on reproche de vouloir « réécrire » l’Histoire dès que des figures glorifiées tels que Napoléon, Colbert ou encore Gallieni (et dont la volonté, contrairement à ce qu’il se dit n’est pas de les « effacer » de l’Histoire) sont remises en cause, je voudrais leur demander : qui réécrit l’histoire, si ce n’est ceux qui criminalisent les soulèvements populaires et glorifient des mecs considérés comme des dictateurs sanguinaires dans le reste du monde ?

Enfin bref, l’enjeu mémoriel de la Commune de Paris est important pour la gauche, car il pourrait lui permettre de recréer un espoir d’une France plus égalitaire. Malheureusement à ce petit jeu, la droite et les classes dominantes ont une longueur d’avance. Si Louise Michel compte 515 rues à son nom, Adolphe Thiers en compte malgré tout 466. Célébrer une icône révolutionnaire semble kiffe kiffe que de célébrer un grand conservateur ayant sur les mains le sang de milliers de parisiens. A l’heure où les 150 ans de la Commune de Paris touche à sa fin, le constat est dur mais cet évènement qui devrait tous nous réunir autour de notre devise a été relégué au rang de folklore de gauche et semble être bien « cancel » (toujours un plaisir de détourner le vocabulaire de la droite) par le Roman National.

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